L'homme au téléphone

   Le vent nous pousse, mais la chaleur d’un soleil timide nous habille d’un bien-être qui nous isole du reste du monde.

   Nous échangeons des phrases courtes, à petits souffles, comme pour retenir l’instant.

   Soudain, il  surgit, comme un diable sautillant, des ressorts sous ses souliers vernis, le costume chiffonné, la cravate en bandoulière et un téléphone scotché sur l’oreille droite.

   Il est partout, hurlant ses invectives devant la mer et le sable, obstruant notre horizon de rêves ébauchés, emplissant notre espace ouaté, alourdissant nos pas aériens, les chargeant de plomb.

   Nous ne pouvons lui échapper !

   Devant les maisons dentelées du siècle dernier, nous songeons aux cabines rayées, aux belles cachées sous les ombrelles blanches, aux vélos enchantés courrant sur la grève, aux amours trop brèves, aux parasols pliés et aux chapeaux  tressés, redressés furtivement par de longues mains gantées.

   Notre amitié se trouve transcendée par la communion de nos pensées.

   Mais, lui, nous tire par les pieds nous ramenant, vaincus, à la réalité.

   Sa famille suit. Tous endimanchés : communion ou baptême ?

   Ils ont, à n’en pas douter, bien fêté ce jeudi férié !

   La magie du lieu leur aura échappé !