Photos endormies...
Elle s’appelait Gabrielle, était née avenue des Ternes, au tout début du XXème siècle. Il se prénommait Louis et venait d’Argenteuil.
Ces deux là se sont aimés !
Leur rencontre, je l’imagine sur les bords de Marne, au son de l’accordéon, sur une chanson de Fréhel.
Elle a mit sa robe du dimanche et ses ballerines à boucles pour venir s’encanailler dans une guinguette froufroutante. Une amie l’accompagne et leurs ombrelles tanguent au rythme de leurs fous rires. Elles ont vingt ans, le temps est au flonflons, le temps est à l’insouciance, Leurs mères ont trop pleuré et leurs pères ont laissé leur jeunesse, leur cœur et leur vie sur les champs de bataille, les champs de la douleur, jamais moissonnés !
Lui, a le canotier de côté. Sans doute a-t-il abusé de ce fameux petit vin blanc que l’on boit sous la tonnelle. Et véritablement, les filles sont belles, en ce matin d’avril.
Celle-là, il la reçoit comme un cadeau du ciel, empaqueté de dentelles, offerte à son regard brouillé par le vin et l’émotion.
Que lui a-t-il donc dit ? Comment l’a-t-il abordée ?
Sont-ils allés danser, ou son bras s’est-il arrondi pour que sa main à elle vienne s’y déposer, confiante, abandonnée ?
L’a-t-il emmenée canoter sur le fleuve au milieu des cris et des rires les enveloppant d’un voile irréel ?
Comment leurs deux photos sont-elles arrivées là, entre mes mains, tenues, comme deux reliques d’un amour sublimé ?
Je les ai dénichées, enfouies sous un verre obscurci de poussière, emprisonnées par les petite baguettes de bois. Maintenus par une charnière, leurs deux cadres les séparaient autant qu’ils les unissaient.
Une brocante, un prix jeté au hasard d’une chine et je les rapportais à la maison.
Les photos de mes enfants se glissèrent à leurs places.
« Eux », me brûlaient les doigts, je voulais les détruire. Mais mon regard avait cueilli la dédicace :
« A mon Louis bien-aimé. Sa Gabrielle. »
Trop tard !....Mon imagination vagabondait déjà !